Voyageurs du passé : une visite à l’Isola Maggiore en 1914…
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Una visita all’Isola Maggiore nel 1914…
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Per i nostri amici italiani
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Questo articolo è costituito da un brano da una guida turistica di 1914, destinato prima di tutto agli automobilisti.
Questa è la storia di una visita all’Isola Maggiore in questo momento.
Tutte le foto, tranne l’ultima, sono presentate in bianco e nero per attirare al massimo il lettore nel passato…
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Préambule
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Gallica, la bibliothèque numérique de la Bibliothèque nationale de France, recèle de véritables trésors.
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La découverte de cette ressource exceptionnelle nous a donné l’idée de créer une nouvelle mini-série, intitulée « Voyageurs du passé ».
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Ceci est le cinquième article de cette mini-série.
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Ont déjà été publiés antérieurement :
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- Voyageurs du passé : Adieu au lac Trasimène, 1937
- Alphonse Allais à Venise en 1897 : limites de l’intercompréhension entre le français et l’italien.
- Excursion au lac Trasimène – Juin 1860 : Princesse Maria Alessandrina Bonaparte et la poétesse Louise Colet (1)
- Excursion au lac Trasimène – Juin 1860 ( suite et fin )
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Introduction
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Le texte présenté aujourd’hui est un extrait du livre ci-dessous :
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Cliquez sur l’image pour l’agrandir
Exceptionnelement, les autres illustrations ne peuvent pas être agrandies, sauf la dernière !
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Source : Marilena De Vecchi Ranieri & Valentina Costantini, Trasimeno Grand Tour, 2010
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Le récit
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La traversée du Trasimène vers l’Isola Maggiore
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Le lendemain matin, une barque nous prit afin de nous conduire à l’ Isola Maggiore, le plus important des îlots flottant à la surface du Trasimène.
L’esquif était des plus modestes, quelques planches peinturlurées, réunies en forme de pirogue primitive sur laquelle chacun devait éviter les gestes excessifs de peur de compromettre un équilibre des plus incertains.
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Avec des précautions infinies, je me penchai vers le lac.
L’eau était impénétrable et floue, comme certains vitrages destinés a arrêter la lumière et le regard.
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Et je me rappelai, non sans ironie, les vers chaleureux du plus célèbre des poètes de l’endroit, Matteo dell’Isola, vantant la limpidité magnifique du Trasimène :
ream fulget abimum usque solum semper.
Car l’abîme est toujours limpide jusqu’au fond.
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D’ailleurs, notre grand Châteaubriand avait eu des illusions pareilles :
« Le lac lui-même, écrivait-il, est creusé dans le roc. À travers son onde verte et transparente, l’œil découvre, à plus de trente et quarante pieds de profondeur, des masses de granit de différentes formes et dont quelques-unes paraissent comme nouvellement sciées par la main de l’ouvrier… »
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Ces poètes ont des façons délicieuses de se moquer du monde !
Il n’y a probablement pas plus de granit au fond du Trasimène que sur ma main, les eaux y sont basses, ayant quelques mètres à peine, généralement troubles, avec des allures d’étang plutôt que de petite mer, si bien qu’autrefois, des cervelles hantées par l’exemple du Fucino avaient imaginé un vaste projet de dessèchement.
Pareille entreprise serait un sacrilège, car le Trasimène n’est pas seulement un vivier abondant, il garde aussi le gracieux et mystique souvenir du tendre Poverello.
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Carême de saint François à l’Isola Maggiore en 1211
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Le « véridique serviteur du Christ » se trouvant certain jour de carnaval « au bord du lac, en la maison d’un sien dévot, avec lequel était hébergé la nuit, fut inspiré par Dieu qu’il allât faire ce Carême en une île ».
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Ayant prié son hôte de le conduire dans un lieu absolument désert, saint François monta sur une barque, !a nuit des Cendres, et aborda dans l’Isola Maggiore avec l’intention d’y jeûner quarante jours et quarante nuits, à l’exemple du fils de Dieu.
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Il n’avait emporté que deux petits pains, et, sur sa prière, le « sien dévot » le devait laisser en paix jusqu’au jeudi saint.
Demeuré seul, le doux franciscain « entra en un taillis moult touffu, lequel moult épines et arbustes avaient accommodé en façon d’une tanière ou d’une petite cabane, et en ce lieu se mit en oraison à contempler les choses célestes ».
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Le Carême terminé, l’ami vint le reprendre et grande fut sa stupéfaction de constater que le saint ermite n’avait mangé que la moitié d’un de ses deux pains…
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Le monastère, puis le château Guglielmi
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De retour sur le rivage, ce brave homme ne put garder son secret.
Il parla, racontant la merveilleuse aventure, et les foules accoururent vers l’île du Trasimène illustrée par le séjour du « fidèle serviteur du Christ ».
Des miracles s’opérèrent…
Alors, « commencèrent les hommes à y édifier des maisons et y habiter ».
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Puis, « se fit un châtel bon et grand, et y eut le couvent des frères »…
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La loi de sécularisation de 1866 vida le monastère et celui-ci tombait en ruines lorsque le marquis Guglielmi, l’ayant acquis, en 1884, releva ses murailles dévastées, ressuscita la sainte demeure, lui donnant, en outre, l’apparence et la –forme d’un solide château à créneaux et à tourelles.
Cette résidence seigneuriale est l’orgueil et peut-être aussi le cœur vivant du Trasimène.
Partout le nom « del signor marchese » est prononcé avec la déférence respectueuse que commandent la fortune acquise et les charitables interventions.
Sur un lac où ne flottent que des barquettes pareilles a celle ou je m’étais assis, on ne se sert pas de canots automobiles, d’un vaporino, du télégraphe et du téléphone, sans faire écarquiller les yeux des pauvres diables et se courber les échines des quémandeurs.
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Lire à ce sujet : Villa Isabella Guglielmi : (4) La flottille du marquis Guglielmi…
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Survivance de l’Isola Maggiore
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D’ailleurs, l’île entière mourrait probablement de faim sans la bienfaisante tutelle des dames du château, lesquelles font enseigner aux femmes et aux filles des pêcheurs l’art de la dentelle et se chargent aimablement de placer les broderies d’Irlande, les points de Venise confectionnés sous leurs yeux.
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Ainsi régénérée et sagement conseillée, l’Isola Maggiore sourit sans lassitude, les genêts et les menthes la parfument doucement, de petits oliviers, des figuiers noueux, des vignes en tonnelles lui donnent, pendant la canicule, des ombres menues et, sur le pas des portes, à côté des hommes occupés à raccommoder leurs filets, les femmes assises devant leur métier tirent l’aiguille, tordent le fil, font festons et guipures.
Vrai décor champêtre et villageois, où pourrait se jouer l’ Étranger de Vincent d’Indy, en transportant sous le ciel d’Italie le drame dont l’Océan fut le théâtre.
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Une île miraculeuse
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Car il se trouve aussi dans l’île, une « pierre de miracle », dont on peut attendre des interventions merveilleuses.
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Il faut, pour la découvrir, traverser le jardin du château où des troupes d’oiseaux s’égosillent dans les oliviers, les eucalyptus, les cyprès, et marcher quelque temps au pied d’une falaise broussailleuse, en suivant une vague allée plantée de lauriers dont la senteur violente fait presque défaillir.
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On la découvre enfin, caressée par le flot léger, comme abandonnée, sans une inscription pour dire son histoire prodigieuse.
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C’est pourtant sur elle que le Poverello fit ses premières oraisons en débarquant dans l’île et telle fût sa ferveur sainte que la pierre en a gardé des stigmates profonds.
Les genoux, le corps tout entier sont assez exactement moulés pour que les pèlerins puissent, à l’aise, mesurer la taille et la corpulence modestes de l’homme d’Assise.
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« Era forse cosi, il santo, signore! »,
Le saint était probablement ainsi.
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approuve le domestique du château qui nous guide.
Pour ce bon serviteur, la légende est probablement claire autant qu’irréfutable.
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N’est-elle pas recueillie, dans sa naïve simplicité, sur une des fresques du château où l’on voit saint François s’apprêter à descendre de la barque fragile et le lac, tout ému de l’événement, rouler autour de lui des flots en colimaçons qui semblent frisés au petit fer?…
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Tout près de ce « débarcadère » franciscain, une modeste chapelle abrite un Poverello de bois, misérable silhouette d’un moine décharné, hâve, court vêtu, de barbe inculte, rappelant certaines fresques laissées par Cimabue dans la basilique d’Assise…
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Pour conclure
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Quel contraste entre cette sainte pauvreté et la riche demeure élevée sur le sol de l’île miraculeuse !
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Comme il serait confondu, le fils de Bernardone, s’il pouvait voir à la place de ses frères, des domestiques en livrée, de belles dames promenant leurs toilettes provocantes dans l’antique monastère, devenu une habitation mondaine remplie de bruits profanes.
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Mais, ses regards attendris se promèneraient encore avec joie sur le tendre azur du lac, puis au crépuscule,
lorsque l’eau s’empourpre de tout le sang porte par le Sanguineto et que s’évoque dans l’incendie du jour finissant le monstrueux égorgement des légions romaines,
il tomberait à genoux, implorant son Dieu pour ces lointaines victimes
et il prierait longtemps, longtemps jusqu’à l’heure grise où les petites chèvres blanches ou noires, venues pour se désaltérer avant la nuit, sortent de l’eau encombrée de roseaux et de joncs, et folâtrant avec grâce, se dirigent, le bouc souillé de vase et le poil ruisselant, vers les étables des alentours.
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